Le processus de discernement utilisé pendant l'Assemblée mondiale

Le processus U

Les délégués réunis à Amiens avaient pour mission de contempler les merveilles de la Communauté et de discerner les appels et priorités pour la CVX mondiale. Les trois facilitateurs, Béatrice, Sarah et Flavio, ont accompagné le cheminement de l’Assemblée avec une méthode appelée « Le voyage en U ». Petit retour sur le processus de discernement à l’œuvre pendant dix jours…

Les facilitateurs de l’Assemblée ont proposé aux délégués de vivre durant dix jours un « voyage en U », qui passe de l’ouverture aux réalités et aux autres compagnons, à l’ouverture à la voix du Seigneur pour aboutir à des choix et des décisions, non seulement sur les orientations, mais aussi sur des points très concrets comme le budget. Pour cela, chaque journée commence par une prière commune pour se mettre ensemble sous le regard de Dieu. En fin de journée, une eucharistie rassemble délégués et bénévoles, car c’est le Christ qui nous rassemble et nous met au service les uns des autres. Lors de ces journées, les délégués vivent des temps de groupes, avec de longs temps de respirations profondes, de silence, ainsi que des temps de bénédictions réciproques. 

La première journée a permis, par des moyens très divers, de faire connaissance, de se repérer par langues et par continents, de s’ouvrir à soi et aux autres : prendre conscience du moment présent : « qui nous sommes, comment nous nous sentons, quelles sont nos attentes et nos inquiétudes ».

Le « voyage en U » (théorie du U) a été présenté, en expliquant aussi ce qui se passe quand on se ferme à soi et aux autres (théorie du U inversé), en proposant de relire aussi une telle situation avec son voisin. Ces différents moments ont permis à chacun de sentir comment il arrivait, donc de s’ouvrir à soi-même et aux autres. Cette attitude permet d’avoir un esprit neuf.

Dans les jours 2 et 3, il a été proposé aux participants de contempler, avec un cœur ouvert, comment Dieu a été à l’œuvre dans la CVX par les initiatives apostoliques réalisées dans les différents pays. Les délégations avaient envoyé ces initiatives, initiatives liées aux priorités de la CVX (jeunes, familles, mondialisation et pauvreté, écologie, spiritualité) ; elles étaient affichées dans les 3 langues officielles de la Communauté. Comme Jésus, durant 30 ans de vie cachée, les délégués ont contemplé le monde ; cela leur a permis de s’ouvrir aux réalités de pays très différents du leur, à s’enchanter de tout ce qui a été réalisé. A l’invitation d’Ignace, ils ont contemplé Dieu qui s’incarne aujourd’hui. Ainsi, ils ont pu voir comment son Esprit est à l’œuvre depuis les rassemblements de Beyrouth (2013) et Buenos Aires (2018).

En même temps, les questions de la vie de la Communauté sont présentées, font partie des discernements à faire : le rapport de l’Ex-Co mondiale, le rapport financier, le budget, des questions sur l’évolution des Principes Généraux et des Normes générales.

Le jour 4 a été la « journée portes ouvertes » : environ 1000 personnes sont arrivées de plusieurs pays pour visiter les membres de l’assemblée et les soutenir. En groupes de 20, ils ont partagé, déambulé dans les rues d’Amiens, vécu un temps fraternel entre délégués et visiteurs. Rien d’autre que d’ouvrir son cœur pour poursuivre la contemplation de l’œuvre de l’Esprit, pour sentir le soutien de la Communauté.

Le jour 5, les délégués se sont mis à l’écoute du Père Sosa, Supérieur général de la Compagnie de Jésus et Assistant mondial de la CVX. Il a donné des clés pour espérer : l’espérance commence quand on se sait dans les mains de Dieu, car notre espérance est en Lui et non dans « les choses créées ». Quand nous sommes ancrés dans le Christ, l’espérance est la boussole qui guide les pas et invite à vivre en tension entre « les choses créées » et le Royaume annoncé par le Christ. Elle permet d’accepter les humiliations pour continuer à porter la croix du Seigneur, à servir le Christ pauvre et humble.

Après son départ, l’Assemblée a approuvé l’entrée dans la Communauté de 4 nouveaux membres : l’Ethiopie, la Nouvelle Zélande, la Slovaquie et la Suède. Puis, lors d’une conversation spirituelle, ils ont cherché à creuser en groupes la question : « où votre espérance est-elle ancrée au sein de communauté ? » et à formuler cette espérance par une image symbolique.

Dans la soirée, les délégués sont entrés dans le silence pour 24 heures, invités à demander à Dieu de les éclairer sur la question « à quoi sommes-nous appelés ? » Il s’agit maintenant de partir avec le Christ au désert.

C’est pourquoi le jour 6 est une journée de retraite, journée de silence et de prière pour écouter ce que Dieu dit à chacun au travers de cette assemblée. Les délégués se sont laissé travailler par l’Esprit à partir de tout ce qu’ils ont reçu : « comme un pain qui a été préparé avec patience », ils vont passer par le feu … C’est pour eux le moment d’écouter profondément l’appel de Dieu pour la Communauté. C’est le plus creux du U, le moment qui correspond à la mort/résurrection de Jésus-Christ.

Quand les délégués se sont retrouvés le jour 7, ils ont commencé à « cristalliser », à faire que ce qui était diffus prenne forme ; pour cela, ils se sont écoutés en profondeur, d’abord 2 par 2, puis 4 par 4, puis 8 par 8, dans le but de sentir les appels essentiels de l’Esprit pour la Communauté : qu’est-ce que la CVX peut apporter au monde ? Quelle est sa mission si elle veut participer aujourd’hui à sauver le monde. La présence aux frontières a été rappelée.

Lors du jour 8, l’assemblée a été invitée à s’ouvrir à l’avenir, à s’ouvrir à Dieu. Pour cela, elle a commencé à se demander comment agir pour répondre à ces appels : la cristallisation s’est poursuivie. L’appel de Jésus à Pierre a été lancé : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »  (Lc 5, 4) Jésus, fils de charpentier, invite Pierre, pécheur professionnel, à aller pécher alors qu’il n’a rien péché durant toute la nuit ! Comme Pierre, les délégués ont été invités à partir de leurs insatisfactions, à laisser de côté les insatisfactions toxiques, pour écouter en profondeur les « saintes insatisfactions » qui viennent du bon esprit, qui mettent en mouvement, poussent à être créatifs, donnent du courage : c’est ainsi qu’on peut créer un avenir où plus de vie va entrer. Après les avoir partagées en groupes, elles ont été partagées en assemblée, comme « un fumier » qui va fertiliser le sol et qui va permettre de faire grandir l’espérance.

Le jour 9 commence par les votes d’amendements sur les PGX et les normes générales : « bonne nouvelle », ils vont être révisés. Puis vient le vote du budget, lieu où l’on sent davantage les tensions entre les pays, où le vote prend du temps. Au final, le budget voté à la majorité augmente de manière significative pour permettre au secrétariat mondial d’être renforcé sans toucher aux autres postes, notamment celui du fond apostolique.

Les quatre rédacteurs ont présenté à l’assemblée ce qu’ils avaient déjà perçu. Ils ont souligné que la contemplation de l’incarnation avait été fondatrice pour l’Assemblée ; en effet, il ne s’agit plus de parler de délégués réunis, mais d’une Assemblée réunie en un seul lieu : un sacrement, signe visible de ce qu’est la CVX. La CVX, communauté apostolique de laïcs, qui désire être au service des frontières du monde, quelles que soient les priorités régionales ou nationales. C’est tout cela qui devient mission.

Les délégués sont alors repartis en groupes, avec pour mission de donner la voix à l’Esprit, pour pouvoir faire remonter aux rédacteurs les priorités qu’ils souhaitent voir dans le rapport final. On sent chez eux paix et joie, d’un travail bien guidé par les facilitateurs, d’un « accouchement » qui a été douloureux par moments. Le bébé n’est pas encore là mais ils vont bientôt le contempler.

Voilà ! Différents discernements sont faits. Lors du jour 10, l’Assemblée a élu le nouveau conseil exécutif mondial, en prenant le temps de bénir le président, la vice-présidente et les 5 consulteurs. La dernière après-midi a été consacrée à la présentation d’une version du document final qui va être enrichie par les rédacteurs grâce aux recommandations de l’assemblée. Celle-ci les a bénis et leur a confié le soin de finaliser le document dans les prochaines semaines.

Les facilitateurs

Qui sont-ils ?

• Béatrice Castaing de Longueville (France) : Déléguée générale de l’association française « Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens »
• Sarah Broscombe (Grande Bretagne) : Consultante en formation et développement
• Flavio Bottaro sj (Italie) : Jésuite

Tous les trois sont membres du réseau d’accompagnement Discerning Leadership. Aucun d’eux ne fait partie de la CVX, mais chacun la connaissait déjà plus ou moins au travers de la famille ignatienne.

Le réseau d’accompagnement « Discerning Leadership », qu’est-ce que c’est ?

« Discerning Leadership », (programme pour le discernement du leadership) est une réponse à l’appel du pape François pour « un élan missionnaire capable de tout transformer » et à sa demande à la Compagnie de Jésus de partager le don du discernement. Son objectif est de « renforcer les capacités des hauts responsables de l’Église, y compris les fonctionnaires des dicastères du Vatican, les supérieurs généraux des ordres religieux, les évêques et les responsables laïcs, pour cette mission de discernement, de réforme et de renouveau ».

Par le biais de cours et de coaching, le programme facilite et soutient les participants dans le développement des attitudes, des compétences et des connaissances requises pour diriger d’une manière synodale, c’est-à-dire d’une manière de procéder qui est guidée par l’Esprit, orientée vers le processus, la collaboration et la co-création.

Pour plus d’informations : Discerning Leadership Program | New leadership for the Church

Comment ont-ils été appelés pour ce service ?
Le Conseil exécutif mondial avait décidé de confier l’animation de l’Assemblée d’Amiens au réseau Discerning leadership. Béatrice, Sarah et Flavio ont ainsi été sélections à ce titre et ont reçu un premier appel du Secrétaire exécutif mondial en novembre 2022.

Comment ont-ils travaillé ?
Béatrice, Sarah et Flavio ne se connaissaient presque pas avant cet appel. Ils ont dû apprendre à travailler ensemble progressivement à partir du mois de mars.

Avant l’Assemblée, ils ont eu l’occasion de travailler une fois avec les membres du Conseil exécutif mondial, quatre jours en avril. Le reste du travail s’est fait à distance. À Amiens, ils échangeaient au quotidien à la fois avec l’ExCo, les rédacteurs, Phileas, la communication et la liturgie. Tous devait s’ajuster et concourir à l’accompagnement de l’Assemblée.

Le « processus U » est un outil parmi d’autres proposés par Discerning leadership. Il s’avère particulièrement utile pour aller en profondeur et prendre en compte des idées et des points de vue très différents. Cette méthodologie aide à rendre visible l’invisible. La prière du corps fut très précieuse également pour cela. Elle constituait cependant un défi en raison de la différence de perception du corps dans les différentes cultures au niveau mondial. Malgré tout, les délégués ont réussi à exprimer la communion à travers elle. Ce fut très impressionnant, en particulier au moment de l’élection où chaque membre du Conseil exécutif mondial nouvellement élu a été béni silencieusement par l’Assemblée.

Quels souvenirs gardent-ils de cette Assemblée mondiale ?
« En tant que jésuite, c’est l’une des expériences les plus extraordinaires qu’il m’ait été donné de vivre » considère Flavio. « Demandez vous recevrez… toutes les demandes du monde que vous entendez, être un pont entre ce monde blessé et le Seigneur, c’est impressionnant. »

La dynamique de l’Assemblée
Certains délégués ont été surpris que l’animation ait été confiée à Discerning Leadership plutôt qu’à l’ESDAC. La méthode proposée était nouvelle pour la plupart, parfois déroutante, mais l’Assemblée a fait confiance aux facilitateurs et s’est laissé embarquer dans l’aventure.

Les facilitateurs ont eu affaire à une assemblée disciplinée et polie. Avantages et inconvénients des bons élèves, à la fois agréable et un frein pour oser proposer des idées nouvelles. Sentant cette résistance, les facilitateurs ont ajusté l’accompagnement en particulier du jour 8, pour proposer aux délégués d’aller voir du côté de leurs mécontentements sacrés pour leur permettre de partager « ce qu’ils n’osaient pas dire jusque-là ». Un changement d’énergie communautaire est apparu dès le lendemain. Et quelque chose a pu se libérer. Les contributions sur le document final faites par les délégués le dernier jour furent très différentes de celles des jours précédents. Nous n’étions plus dans des analyses personnelles mais dans une véritable co-création.

Un point de départ
Le processus U ne s’est pas clos avec la fin de l’Assemblée mondiale à Amiens. Une dynamique a pris corps et donne des clés au nouveau Conseil exécutif mondial sur la façon d’accompagner la diffusion des orientations de l’Assemblée mondiale au cours de cinq prochaines années. L’image d’un bébé dans le ventre de sa mère résume bien la situation. Comment désormais l’accompagner jusqu’à la naissance ?

Le décalage est parfois grand entre les documents officiels qui définissent ce qu’est la CVX et la réalité de ce que vivent les communautés nationales. Le besoin de formation s’est clairement manifesté, tout comme celui de créer des synergies entre les différents niveaux de la Communauté, du local au mondial, de faire grandir le sentiment d’appartenance à une Communauté mondiale. La création d’une plateforme technologique largement plébiscitée en est le reflet. Ce sera l’un des grands challenges du nouveau Conseil exécutif mondial. L’application qui était à disposition des délégués pendant l’Assemblée a démontré que la technologie pouvait être au service de la relation comme un moyen de se connecter et d’échanger concrètement, une « technologie vivante » et pas seulement un outil.

Avez-vous un message à transmettre aux délégués et à la CVX mondiale ?

• Suivez la vie ! Revenez sur ce qui s’est passé pendant l’Assemblée mondiale. Soyez attentifs à l’endroit où se trouve la vie et d’où elle vient. Oubliez l’espoir générique et cultivez votre propre espoir, électrifiez votre espoir. N’achetez pas votre espoir à quelqu’un d’autre, mais suivez l’espoir que VOUS avez ! Sarah
• Ne vous préoccupez pas seulement du monde, mais aussi de l’Église. Considérez l’Église comme une mission. L’Église a besoin d’être provoquée par des personnes en qui elle a confiance. Dépassez vos limites ! Osez proposer une nouvelle façon d’accueillir les gens, d’aller au-delà des traditions, de penser une Église pour l’humanité réelle tout entière et pas seulement pour les Catholiques. Flavio

Un grand merci à chacun d’eux pour avoir accompagné les délégués tout au long de ces dix jours d’assemblée et souhaitons que les bienfais du processus U continue de se déployer dans la Communauté mondiale portés par le nouveau Conseil exécutif mondial.