L’Assemblée mondiale se clôt pour un nouvel a-venir fondé sur l’unité des communautés. Nous nous ouvrons à la dimension mondiale de la CVX à travers les témoignages de délégués de trois communautés africaines présentes à Amiens : Jean-Paul pour la République Démocratique du Congo, Alban et Fatima pour la Centrafrique et Groum Tesfaye sj pour l’Éthiopie. La RDC est membre depuis 1980, l’Ethiopie a été accueillie cette année, et la Centrafrique est « observatrice », parrainée par la France depuis 2020. Bien qu’il s’agisse d’un seul continent, les réalités nationales sont très diverses et les histoires de la CVX le sont donc aussi. Trois points communs cependant dans l’histoire de la CVX dans ces trois pays : un lien essentiel entre les Jésuites et les laïcs au moment de la naissance des communautés, des conditions sociales et politiques très instables, qui menacent au quotidien la survie de chacun y compris celle des compagnons, et une attention particulière aux jeunes et aux familles sur un continent qui comptera 60 % de jeunes de moins de 24 ans en 2025. La spiritualité ignatienne est un don précieux pour répondre aux défis que relèvent les CVX africaines.
La région Afrique compte près de 2 500 membres répartis dans une vingtaine de pays. Les premières communautés nationales ont adhéré en 1989 et d’autres plus récemment au fil des ans, d’autres encore sont en chemin vers une adhésion. Aujourd’hui, il y a 14 pays membres et 8 pays observateurs (voir le site mondial ici).
La CVX en République Démocratique du Congo est membre depuis 1989 et compte environ 300 compagnons. Jean-Paul Biruru est le seul délégué à avoir pu obtenir un visa pour venir à l’Assemblée. La CVX Ethiopie est devenue membre CVX à part entière cette année, elle compte environ 130 compagnons dans six régions différentes. Seul son président et l’assistant ecclésial ont pu obtenir leur visa. Le père Groum Tesfaye sj., jésuite éthiopien, a lancé la CVX dès 1998 ; il exercera dorénavant son ministère en Tanzanie. La CVX Beafrika (traduction en sango de « Centrafrique ») est en marche depuis 2002 pour devenir membre de la CVX mondiale, elle est parrainée depuis 2020 par la France et compte aujourd’hui environ 30 compagnons. Alban Kokouale, son président, ainsi que la vice-présidente Fatima Goumba nous ont raconté les débuts. Pour bien comprendre ce qui fait la richesse et la diversité de CVX à travers ces témoignages, commençons par une présentation rapide de ces trois pays.
Les contextes nationaux : plurilinguisme, chrétienté, instabilité
Comme cela est le cas de la plupart des pays du monde, la RDC, l’Ethiopie et la Centrafrique sont pluriethniques et plurilingues, même si une langue est majoritairement partagée. Le français est majoritairement utilisé en RDC et en Centrafrique et l’amharique est la langue principale en Ethiopie (et l’anglais dans une moindre mesure). En CVX, ce sont donc le français et l’amharique qui sont utilisés. Les conditions de vie sont particulièrement difficiles. Les peuples ont été et sont encore déchirés par des conflits armés. Les régimes politiques successifs peinent à instaurer des instances démocratiques. Les liens avec l’Occident sont tendus pour des raisons historiques et économiques.
La chrétienté est largement présente dans ces trois pays à travers les orthodoxes, les protestants et les catholiques. Mais la présence de l’Eglise catholique diffère grandement selon les pays, comme on peut le voir sur la carte. Si près de 50 % des Ethiopiens sont orthodoxes, moins de 1 % sont catholiques ; 30 % des Centrafricains sont catholiques mais la majorité des chrétiens est protestante. La RDC compte autant de catholiques que de protestants (40 % environ). Les communautés nationales veillent à respecter très concrètement les normes générales en sollicitant une reconnaissance officielle des Eglises nationales et en se mettant à leur écoute pour répondre aux appels missionnaires (cf. Normes générales, PG6).
Contrairement à l’histoire de nombreux pays européens (dont la France), les instances religieuses y ont un poids politique particulièrement important. Ainsi, le Pape François est venu officiellement à Kinshasa en février 2023 pour soutenir le processus démocratique des élections présidentielles qui doivent avoir lieu en décembre 2023. Malgré ces différences évidentes entre ces pays et d’autres pays plus riches dans lesquels la CVX est présente, une réelle unité de foi et d’espérance a émergé dans les échanges que nous avons eus. Diversité certes, mais un regard d’espérance sur le monde qui unit ces trois communautés, et qui unit toutes les régions de la CVX au-delà des différences et des inégalités mondiales.
Les débuts de la CVX : spiritualité et action
La constitution des premières communautés s’est réalisée avec des Jésuites qui s’étaient engagés pour accompagner et former des étudiants laïcs à la spiritualité ignatienne. Dans chaque pays les premières réunions se sont déroulées à travers des expériences de relecture de vie, de discernement, et d’engagement dans des missions au service des diocèses. Les premières missions apostoliques ont émergé en même temps que les premières communautés. En RDC et en Ethiopie, ces missions ont concerné principalement l’accompagnement de jeunes couples souhaitant construire une famille en accord avec les valeurs chrétiennes. Plus récemment en Centrafrique, les compagnons se sont mobilisés pour parrainer une quarantaine d’enfants devenus orphelins et sans abri à la suite des troubles qui bouleversent le pays depuis 2014. Il ne s’agit ici que de quelques exemples de leurs engagements. Aujourd’hui, dans tous les cas et autant que faire se peut, les communautés se rendent disponibles aux besoins missionnaires des diocèses, ils y répondent avec une démarche ignatienne.
Les compagnons ont eux-mêmes des conditions de vie difficiles, ils sont nombreux à devoir se déplacer d’une région à une autre pour des raisons qui peuvent être professionnelles, politiques ou économiques. Ces déplacements sont cependant le plus souvent dus aux guerres et aux conflits. Le défi pour les responsables est de soutenir, malgré l’instabilité, l’appropriation d’une spiritualité fondée sur la prière, la relecture et le discernement. Ils doivent donc veiller à favoriser la création d’un réseau pérenne permettant de soutenir les membres de leur communauté dans les difficultés, y compris lorsqu’ils subissent des mobilités spatiales ou sociales. Internet et les réseaux sociaux sont aujourd’hui une aide précieuse à cet effet.
Devant tant de souffrance, on pourrait se demander ce que retirent les compagnons de leur participation régulière à une vie communautaire. Les trois délégations sont unanimes sur ce point : la participation à une communauté de vie chrétienne aide à traverser les épreuves et aide chacun à trouver une force qui nait de la spiritualité ignatienne partagée. Les effets concrets en sont perceptibles dans la vie-même de chacun, y compris lorsque leur vie est en danger.
« Je vous assure que beaucoup de membres, quand on écoute leur partage, disent volontiers que c’est la CVX qui leur permet de tenir le coup parce qu’il y en a qui facilement perdent leur emploi il y en a qui habitent des coins où règne l’insécurité et dans les rencontres quand ils font leur partage ils disent que c’est leur foi et leur culture ignatienne qui leur permet de tenir le coup avec la prière habituelle le discernement et ainsi de suite. Ça leur permet d’avoir un ancrage dans leur quartier et dans leur paroisse (…) Nous avons dans la communauté des couples Katangais/Kassaiens (1) beaucoup de couples et à la suite de ce conflit les couples se sont disloqués mais dans la communauté nous avons des gens des couples qui eux ont tenu jusqu’aujourd’hui, ces couples tiennent toujours grâce à leur engagement CVX et grâce à leur cheminement ». (Jean-Paul, RDC)
Les retraites selon les exercices sont proposées en présence ou même à distance lorsque cela est possible. Ainsi le Père Groum a prêché une retraite de carême à distance pendant la pandémie, et chaque jour les compagnons se connectaient de partout dans le pays. Mais ce n’est pas toujours possible : en RDC l’insécurité empêche durablement l’organisation de ces moments privilégiés, et parfois il n’existe même pas de lieu de retraite à un prix abordable. C’est le cas en Centrafrique.
La formation des laïcs aux missions d’accompagnement est donc essentielle pour imaginer des manières concrètes de pratiquer les exercices spirituels en s’adaptant au contexte. La Centrafrique et la France ont initié un cycle de formation à travers une rencontre en 2020 puis en 2022, qui se poursuivra peut-être par une formation à l’accompagnement. La RDC essaie de renforcer le réseau des membres et des familles malgré l’insécurité quotidienne et l’immensité du pays. En Éthiopie, le père Groum a très rapidement compris qu’il s’agissait d’un enjeu majeur. Avec l’accord de l’Eglise catholique, actuellement neuf laïcs membres de CVX sont formés par la Compagnie de Jésus pour devenir « directeurs spirituels » selon le charisme de Saint Ignace. Il nous rappelle aussi que les textes de la CVX sont un trésor qui n’est pas si facile d’accès lorsqu’il n’existe pas de version traduite. Mais la solution a été trouvée : quelques jeunes compagnons réalisent les traductions des textes de la CVX en amharique. L’Esprit souffle d’abord dans l’ici et maintenant des compagnons qui expérimentent, tout comme les compagnons du monde entier, le fait de « chercher et trouver Dieu en toutes choses ».
« La spiritualité ignatienne on l’a bien traduite en amarigna : les Exercices spirituels, les constitutions de CVX, et évidemment nous avons la Bible, parce qu’il n’y a pas de CVX si le membre lui-même ne développe pas sa propre spiritualité. Ils prennent aussi très au sérieux dans les normes le lien avec l’Eglise. Et alors automatiquement la communauté se construit et alors évidemment ils se demandent “que pouvons-nous faire ensemble ?” mais ils ne créent pas la mission mais demandent aux diocèses “que pouvons-nous faire pour vous aider ?” et presque partout on leur demande de s’occuper des jeunes étudiants. Eux-mêmes sont des jeunes diplômés de l’université. Et donc ils ont créé des groupes d’aumônerie en université, et lorsque ces étudiants sont diplômés ils ont plusieurs propositions. Globalement pour une cinquantaine d’étudiants diplômés qui quittent l’aumônerie, cinq ou six désirent poursuivre en CVX. Et alors ils doivent les premières années faire une retraite ignatienne d’abord un jour puis trois jours puis huit jours ». (Groum, sj., Ethiopie)
Les initiatives apostoliques naissent au cœur même de l’expérience spirituelle, en réponse à l’évidence du mal. L’exemple centrafricain relaté par Alban et Fatima est parlant, mais tous les compagnons entendus évoquent des exemples semblables : dans l’exercice de la relecture nait une souffrance et une force mêlées qui mènent à l’action apostolique. Nul doute que ces engagements essaiment et interpellent.
« Tu vois, dans les réunions, on partageait ce qu’on vivait, et tous on racontait ce qu’on voyait autour de nous : “un voisin qui a reçu une balle perdue, les enfants sont abandonnés à eux-mêmes, il n’y a rien, je ne sais pas qui est décédé”. Donc les gens ont exprimé leur ressenti, leurs souffrances aussi, et prier ensemble mais c’était pas possible de seulement prier. Le Père accompagnateur était là, à écouter, et il a dit “si vous voulez, on peut faire un projet avec les enfants”. Tout le monde était d’accord, il a trouvé des fonds et on a commencé à s’organiser avec diocèse, pour aider les enfants et les parrainer dans leur scolarité. Ils sont une quarantaine d’enfants aujourd’hui » (Alban et Fatima, Centrafrique)
Le parrainage et l’entrée en CVX : une rencontre, une espérance, et une aide concrète pour la formation
Le parrainage puis l’entrée dans la CVX mondiale en tant que membre à part entière, sont des étapes d’un processus lent au sein de CVX, il est aussi fécond. Alban et Fatima rappelleront à plusieurs reprises les difficultés dans lesquelles se retrouve une communauté isolée, le besoin de savoir « si l’on va dans la bonne direction », la soif d’apprendre, et leur désir profond d’approfondir leur expérience de la pédagogie ignatienne. Cette démarche qui aboutit à un accueil officiel lors d’une Assemblée est cadrée par des normes particulières que nous ne détaillerons pas ici (cf. le site mondial). Nous voudrions simplement souligner pour terminer qu’outre sa portée spirituelle, l’affiliation permet de dépasser ses propres frontières et de s’ouvrir aux autres dans tout ce qui fait nos différences, et notre unité. C’est une chance pour les compagnons vivant dans des pays plutôt refermés sur eux-mêmes, comme le père Groum l’évoque à propos de l’Ethiopie. Le second fruit d’un parrainage est cueilli par la CVX mondiale, qui s’enrichit de nouveaux regards et nouvelles expériences.
Pourquoi c’est important pour nous de faire partie de la CVX ? La première chose c’est que ça ouvre un peu l’Ethiopie parce que c’est un pays un peu renfermé ça ouvre l’Ethiopie à l’Afrique à l’Eglise africaine. Et la deuxième chose c’est qu’on a des choses à apporter et des choses à recevoir et donc cela donne des idées. (Groum Tesfaye, sj. Ethiopie)
En 2023, quatre nouvelles communautés ont exprimé leur joie d’avoir été accueillies : la Suède, la Nouvelle-Zélande, la Slovaquie et l’Ethiopie. Leur entrée est aussi une chance pour la CVX mondiale qui, dans le document final de l’Assemblé 2023, incite explicitement à tisser des liens entre communautés, par devers nos frontières, en vue de s’inspirer les uns les autres dans nos missions respectives.
(1) Le Kasaï et le Katanga sont deux provinces limitrophes. Il existe une forte migration interne du Kasaï vers le Katanga, due à l’écart entre la richesse du Katanga et la pauvreté du Kasaï. Cependant le conflit katangais vs kasaïens est politique : les tensions sont attisées pour des raisons politiques et le conflit surgit lorsque des campagnes électorales ont lieu. Il est apparu autour des échéances électorales ou de changement de régime, en 1957, en 1961-1963, en 1992-93 et maintenant, en 2022-23. Un article pour en savoir plus : cliquer ici.